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En République démocratique du Congo, une autre épidémie frappe les enfants
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Pris en tenaille entre Ebola et le Covid-19, le système de santé congolais peine à faire face à la plus grave épidémie de rougeole au monde, qui a déjà fait plus de 6300 morts en un an. 

Il faut au moins six heures de moto pour rejoindre Boso-Manzi depuis Lisala, chef-lieu de la province du Mongala dans le nord de la République démocratique du Congo (RDC). Tout au long du voyage, les conducteurs doivent naviguer entre les crevasses et les trous, provoqués par la pluie et l’érosion. A certains endroits, la piste de terre est tellement détériorée qu’il faut passer sur des rondins, une personne postée de chaque côté de la moto pour éviter qu’elle ne se renverse.

Les conditions sont loin d’être idéales mais il n’y a pas d’autre option pour acheminer les médicaments et le matériel médical vers l’hôpital de Boso-Manzi, le seul dans un rayon de 100 kilomètres. C’est dans cet établissement, perdu au milieu de la forêt équatoriale, que Gédéon Mushadi, le médecin-chef de zone, se bat depuis plus d’un an avec son équipe contre une épidémie de rougeole. «Ici nous n’avons presque rien, soupire-t-il en fermant la porte de son bureau, on se débrouille avec les moyens du bord.» Fin mars, un rapport de l’Unicef alertait sur la situation en RDC, où les efforts déployés pour endiguer l’épidémie d’Ebola dans l’est du pays ont détourné l’attention d’autres maladies infectieuses comme la rougeole, qui touche en premier lieu les enfants.

Toux, éruptions cutanées et fièvre

Au fond de l’hôpital de Boso-Manzi, un pavillon de 18 lits est dédié aux enfants souffrant de complications. La rougeole, virus très contagieux, affaiblit le système immunitaire et augmente le risque d’infections: toux, éruptions cutanées et fièvre sont parmi les symptômes les plus courants. Denis et Alpha ont dû faire 56 kilomètres à pied et à moto pour venir avec leurs deux enfants, Alain, 3 ans, et Bibi, 10 mois, tous deux malades. Alain a des plaies tout autour de la bouche, qui l’empêchent de manger et de boire: «Il n’avale rien», lance son père en lui tendant une cuillère de riz. Juste à côté, Justin Mbuya, l’infirmier, s’inquiète: «En une semaine, il a perdu 5 kilos et est tombé en malnutrition.»

Ces complications, associées parfois au paludisme ou à d’autres maladies, peuvent entraîner la mort. Depuis le 1er janvier 2019, l’épidémie a touché au moins 330 000 personnes et causé le plus de 6300 décès. Chacune des 26 provinces du pays, grand comme quatre fois la France, a été touchée.

Si la rougeole est parfois mortelle, elle est en revanche facilement évitable. Dans les pays développés, elle a même quasiment disparu, grâce à une campagne de vaccination massive

Face à l’urgence, le gouvernement congolais a lancé un plan de riposte contre la rougeole en janvier, avec le soutien de l’Organisation mondiale de la santé et de Médecins sans frontières (MSF). Parmi les priorités: la sensibilisation de la population, car le niveau d’éducation à la santé est très faible, voire inexistant. A une vingtaine de kilomètres de Boso-Manzi, dans le village de Gumba, Gaston Lufungula, promoteur de santé chez MSF, se bat contre les idées reçues. Mégaphone à la main, il réunit autour de lui grands-parents, parents et enfants sous un manguier pour une leçon de médecine improvisée. «Le premier défi, c’est d’expliquer quels sont les symptômes et surtout de faire comprendre que la maladie se soigne facilement lorsque la prise en charge est rapide», insiste-t-il.

Dans les villages, le premier réflexe est souvent de faire confiance à la médecine traditionnelle. «Quand mon fils Gérard a commencé à avoir de la fièvre, je l’ai emmené voir un guérisseur, raconte Rachel. Il l’a enduit de vin de palme et l’a frotté avec des plantes. Ma voisine m’avait dit que cela marcherait.» Quelques jours plus tard, Gérard se met à tousser de plus belle. Il est amené d’urgence à l’hôpital, où il est sauvé in extremis. D’autres ont eu moins de chance. Sylvie, mère de huit enfants, a perdu son fils, Bienvenu, 2 ans et demi, en janvier: «je ne savais pas ce qu’était la rougeole, je ne pensais pas que la maladie pouvait tuer», murmure-t-elle le regard cloué au sol.

Défis logistiques

Si la rougeole est parfois mortelle, elle est en revanche facilement évitable. Dans les pays développés, elle a même quasiment disparu, grâce à une campagne de vaccination massive commencée au début des années 1960. Pour éradiquer le virus, les médecins estiment qu’il faut vacciner au moins 95% des enfants. Mais en RDC, le taux de couverture se situe autour de 58%, selon une étude conduite par MSF en 2018.

En cause: de nombreux défis logistiques, comme celui de transporter des vaccins dans un pays où il n’y a presque pas de routes. Il faut aussi pouvoir maintenir la chaîne du froid, car le vaccin doit être conservé entre 2 et 8° pour rester actif. Une condition difficile à respecter dans des villages sans électricité pour alimenter les réfrigérateurs et où les températures dépassent régulièrement les 35°C.

A ces problèmes s’ajoutent des difficultés de planification, car pour vacciner efficacement, encore faut-il être capable d’évaluer les besoins avec précision: «On est obligé de naviguer à vue, nous n’avons pas la maîtrise de notre population», se désole Gédéon Mushadi, le médecin-chef de zone de Boso-Manzi. En RDC, le dernier recensement date de 1984 et personne ne connaît avec certitude le nombre de Congolais, estimé selon les observateurs entre 80 et 100 millions.

«On essaie de vacciner le maximum d’enfants, explique Philippe Mpabenda, responsable d’intervention chez MSF, mais souvent on se rend compte que les besoins ont été sous-évalués, donc on doit s’adapter et lancer de nouvelles campagnes.» La présence d’autres épidémies dans le pays n’aide pas non plus: «Depuis un an et demi, la lutte contre le virus Ebola, dans l’est du pays, concentre toute l’attention, et surtout tous les moyens.»

Il faudrait construire des routes

A presque 3000 kilomètres de là, dans la banlieue de Kinshasa, la capitale, le tout nouvel entrepôt du Ministère de la santé est présenté par le gouvernement comme une solution pour renforcer la couverture vaccinale en RDC. Inauguré à l’automne, il abrite une dizaine de chambres froides dernier cri, toutes reliées à un système central qui permet de contrôler la température au dixième de degré près.

«Avant, nous manquions d’espace pour stocker les vaccins, et il a pu y avoir quelques problèmes de conservation, concède Elisabeth Mukamba, directrice du Programme élargi de vaccination, mais désormais la RDC se dote d’outils modernes pour répondre aux urgences sanitaires.» En plus de ce nouvel entrepôt, le gouvernement promet de renforcer les capacités de stockage et de transport dans les provinces et souhaite instaurer une deuxième dose de vaccin obligatoire pour tous les enfants de 9 mois à 5 ans.

A Boso-Manzi, certains ont plus de mal à être optimistes. Dieudonné, un médecin d’une zone de santé voisine, s’interroge: «Pour changer les choses, il faudrait construire des routes, des hôpitaux, payer les médecins. A quoi bon si à chaque urgence, MSF et les autres viennent régler les problèmes à notre place?»

À travers le monde, de nombreuses campagnes de vaccination contre la rougeole sont actuellement suspendues en raison de l’épidémie de Covid-19. Plus de 117 millions d’enfants vivant dans 37 pays différents pourraient ne pas être vaccinés contre cette maladie, d’après un communiqué rendu public le 14 avril par l’Initiative contre la Rougeole et la Rubéole, un partenariat mondial dont font partie l’OMS et l’UNICEF. 

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